T. Buomberger: Die Schweiz im Kalten Krieg 1945–1990

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Titel
Die Schweiz im Kalten Krieg 1945–1990.


Autor(en)
Buomberger, Thomas
Erschienen
Baden 2017: hier + jetzt, Verlag für Kultur und Geschichte
Anzahl Seiten
420 S.
Preis
€ 44,00
URL
von
Olivier Meuwly

La Défense spirituelle, nouvel opium du peuple? C’est l’enseignement que l’on pourrait déduire de l’ouvrage de Thomas Buomberger consacré à la Suisse durant la Guerre froide. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la Suisse tente de restaurer son prestige dans un climat alourdi par son attitude ambiguë envers l’Allemagne, objet de vives critiques en Europe et aux Etats-Unis. Viscéralement anticommuniste, la Suisse s’est-elle racheté une vertu en recyclant cette Défense spirituelle («geistige Landesverteidigung») qu’elle avait élaborée pour protéger le pays des influences nazies? C’est la thèse que défend l’auteur dont le livre fouille les recoins d’une Suisse rivée à l’obsession d’une guerre imminente, forcément nucléaire, qui ne pourrait venir que de l’Est et à laquelle elle pourrait échapper grâce à son réseau d’abris antiatomiques et à une conscience patriotique aiguisée par un rappel constant de ses charmes démocratiques. Une conscience patriotique adossée à un fichage en règle de toutes les personnes accusées de proximité avec le communisme honni.

La Défense spirituelle et l’anticommunisme constituent en effet les deux axes de
l’analyse qu’emprunte l’auteur, comme si l’histoire de la Suisse entre 1945 et 1990 se réduisait à une chasse maniaque des communistes et à un repli dans une bonne conscience masquant les compromissions de ses élites durant la guerre. Thomas Buomberger propose toutefois un tableau soigné de l’anticommunisme, qui ne concerne pas que la droite, cette posture posant aussi sa marque, parfois avec plus de vigueur, sur les rangs des socialistes et des syndicats soucieux de la si redoutable concurrence communiste, alors que l’aura de Staline atteint son firmament. Entretenu par la droite, l’anticommunisme conforte la Suisse dans une mentalité sculptée, dès 1939, par la Défense spirituelle: tout doit être mis en œuvre pour protéger les Suissesses et les Suisses d’une éventuelle contamination. Victimes de pénibles poursuites, de nombreuses personnes sont mises à une sorte de pilori moral qui se met en place dans un conformisme que l’auteur décrit comme étouffant.

Toute la politique fédérale s’organiserait dès lors autour de cette lutte acharnée contre le démon communiste. L’auteur pénètre les arcanes de la politique militaire de la Confédération, dans sa volonté de doter le pays d’une force aérienne moderne avec l’ambition, à terme, de passer dans le camp des puissances pourvues de l’arme nucléaire, à la consternation de ses voisins allemands. Sous son couvercle de plomb («bleierner Deckel») de la Défense spirituelle, le hérisson helvétique, comme aveuglé par une propagande anticommuniste peu en rapport avec la menace réelle venue de l’Est, se serait ainsi jeté à corps perdu dans une sorte d’hystérie collective dans laquelle la population serait éduquée à préparer la guerre imminente, insensible aux discours pacifistes qui se multiplient à partir des années 1970. Malgré des débuts difficiles, la protection civile deviendra l’un des fondements pratiques de la défense nationale au point d’être de plus en plus contestée, comme l’endoctrinement généralisé qui l’accompagne. À la fin des années 60, un livre décrivant le fonctionnement de la protection civile fait scandale par ses a priori totalement vides de nuances.

Cet état d’esprit dominera jusqu’à la fin de la Guerre froide. Articulée sur un espionnage omniprésent des personnes rétives au diktat du moment, la politique fédérale se referme. Assise sur ses stocks de vivres entassés dans les armoires d’une population jugée incapable de se prémunir seule contre des idées jugées pernicieuses, la Suisse officielle se barricade dans un complexe obsidional, jusqu’à la révélation de l’impensable: le scandale des fiches qui éclatera dans les années 80. L’arsenal de Défense spirituelle «institutionnelle» se délite: la cellule P26 est dévoilée, montrant la dimension ridicule d’une politique incapable de se remettre en question. En effet, les autorités ne perçoivent pas un climat antimilitariste qui ne cesse de croître, de la révolte de la fin des années 60 (que cette Défense spirituelle a possiblement contribué à attiser), à l’initiative du GsSA pour l’abolition de l’armée votée en 1989 – lorsque tombe le Mur de Berlin –, en passant par l’initiative contre la place d’armes du Rothenthurm.

La narration de la construction d’un discours de Défense spirituelle contre le communisme porté par les armées soviétiques après 1945, remis en service après avoir servi de réplique au nazisme, ne manque pas d’intérêt. Ce discours officiel, tournant en boucle, a en effet peut-être fini par se retourner contre l’objectif visé, causant beaucoup d’irritation dans une société qui envisageait d’inventer de nouvelles synthèses entre socialisme et communisme. À ce titre, ce discours participe de cette vision du monde de l’après-guerre en vigueur en Occident, que les jeunes générations critiquent directement pour d’autres motifs. Ce reproche, on le retrouve d’ailleurs également dans le bloc de l’Est, comme le montre l’affaire tchécoslovaque. Néanmoins, le livre de Thomas Buomberger parle-t-il réellement de la Suisse durant la Guerre froide? Le titre est trompeur: il n’embrasse pas l’histoire de la Suisse de cette époque dans toute sa complexité, mais se concentre plutôt sur l’un de ses aspects, certes important, mais pas unique. Pour avoir une vision plus complète de cette période, on se rapportera ainsi au récent 6 juillet 1947. La Suisse dans le monde de l’après-guerre de Dominique Dirlewanger (2022, voir le compte-rendu de Sébastien Farré dans ce numéro de la RSH).

Enfin, l’auteur use avec fort peu de modération de termes extraits d’un lexique psychologisant, tels que «hystérie» ou «paranoïa». Ces termes sont forts et font sans doute de l’effet, mais la science historique les manie d’ordinaire avec davantage de prudence. Il est d’ailleurs intéressant de lire ce livre aujourd’hui, dans un monde à peine sorti de la pandémie du Covid et encore empêtré dans une guerre en Ukraine dont des débordements nucléaires ne sont toujours pas exclus. La protection civile et l’usage de stocks ont ainsi refait leur apparition dans le langage courant… Or, il est toujours délicat de juger certaines attitudes lorsque l’on connaît la suite de l’histoire. Et il en va de même de cette habitude de critiquer l’anticommunisme suisse à l’aune d’une menace qui aurait été surestimée. Après coup, il est sans aucun doute possible de juger cette position excessive. Mais était-elle réellement exagérée sur le moment? L’étude de cette période est délicate, puisque divers discours se croisent constamment. C’est ce qui la rend passionnante et c’est ce qui fait de ce livre une fort stimulante contribution au débat.

Zitierweise:
Meuwlly, Olivier: Rezension zu: Buomberger, Thomas: Die Schweiz im Kalten Krieg 1945–1990, Baden 2017. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte 73(3), 2023, S. 417-419. Online: https://doi.org/10.24894/2296-6013.00134.

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